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Pourquoi Bolloré quitte la gestion des ports africains et quelles leçons en tirer ?

AD – Libreville (Gabon): Bolloré cède ses activités portuaires et logistiques en Afrique parce que les temps ont changé. Les scandales se sont multipliés, la concurrence est plus forte, de nouvelles générations sont arrivées aux affaires en Afrique et en France tandis que le fils Cyrille Bolloré qui reprend la tête du groupe a moins d’appétence pour l’Afrique que le patriarche Vincent Bolloré qui est aujourd’hui l’un des principaux soutiens de Mr. Eric Zemmour, candidat aux élections Présidentielles en France.

Le Groupe cède ses activités Bolloré Africa Logistics à l’armateur suisse MSC, numéro deux mondial du fret maritime pour un montant de 5,7 milliards d’euros. Bolloré Africa Logistics gère les activités de transport et de logistique du groupe en Afrique, avec une présence dans 42 ports, 25 terminaux et 3 concessions ferroviaires et un chiffre d’affaires de  2,1 milliards d’euros en 2020 (8,5 % de l’ensemble du groupe) et 20 800 salariés.

Le Groupe Bolloré a renforcé ses activités en Afrique en deux phases. En premier, le groupe familial repris par Vincent Bolloré en 1981 a pris le contrôle de groupes tels que la Scac ou l’armateur Bordelais Delmas-Vieljeux qui opéraient en Afrique depuis la colonisation. 

Mais le groupe Bolloré est devenu la porte d’entrée du fret de marchandises et le principal acteur dans la gestion des ports africains grâce aux programmes de privatisation du FMI et de la Banque mondiale imposés aux pays africains dans les années 1990. C’était l’époque du «bradage historique» destiné à élargir les parts de marchés des entreprises occidentales et capter les ressources des pays pauvres. J’ai vu des cadres arriver des grandes entreprises Européennes dans le cadre de programmes d’échanges avec  la Banque mondiale pour piloter des programmes de privatisation en Afrique dans les secteurs d’ activités de leurs employeurs. 

Compte tenu du projet de pipeline pour l’exploitation du pétrole Tchadien, Bolloré a mis en place une gestion un modèle d’exploitation intégré à travers la reprise du PAD, des Chemins de fer et des produits de rente (Socapalm) en s’ appuyant sur ses connexions politiques en France et en Afrique et sur la complaisance complice des bailleurs de fonds. Par conséquent. Le désengagement de Bolloré va également toucher les activités susmentionnées qui ne font plus partie des priorités stratégiques.

Les activités africaines de Bolloré lui ont permis de s’installer au cœur du capitalisme français en rachetant des grands groupes opérant dans les services à forte valeur ajoutée (Vivendi, Canal Plus, etc.) et de devenir l’un des hommes les plus riches en France. En contrepartie, le Groupe Bolloré offrait quelques T-shirts aux Africains ou sponsorisait quelques panneaux solaires dans les Universités africaines.

L’armateur Suisse MSC qui reprend les activités africaines de Bolloré n’effectue pas un voyage en solitaire. Il peut s’appuyer sur un autre groupe Suisse (la SGS) que le FMI et la Banque mondiale avaient imposé aux Africains dans les années 1990 dans le cadre des privatisations. Sous le prétexte de la corruption systémique des douaniers Africains et de la nécessité d’augmenter les recettes douanières, le FMI et la Banque mondiale ont obligé les pays africains à se faire accompagner par la  SGS pour le contrôle, la vérification, l’analyse et la certification des produits qui arrivent aux ports gérés par Bolloré et d’ autres opérateurs occidentaux.

Bolloré cède aussi ses activités portuaires en Afrique pour les raisons additionnelles suivantes :

     – Le conflit prolongé en France entre Vincent Bolloré et le Président Macron sur les querelles de leadership entre le politique et l’économique en Afrique : l’homme des réseaux Françafricains (Chefs d’Etat) contre un jeune président moins lie à la Françafrique et ayant une faible tolérance face aux initiatives solitaires de Bolloré en Afrique.  

     – La multiplication des procès en France qui montrent que Vincent Bolloré a été lâché par le pouvoir politique comme porte drapeau de la France en Afrique (procès en correctionnelle malgré son accord pour payer une amende de 12 millions d’euros dans le cadre d’un « plaider coupable » visant à éviter un procès pour corruption).

     – Des revers en Afrique depuis quelques années avec une concurrence asiatique (Groupe Olam); le retrait de la concession du port de Douala que Bolloré détenait depuis 2005 et la bataille judiciaire avec le PAD au Cameroun. 

   –  La multiplication des scandales de corruption: Togo, Guinée, Cameroun, etc.

   – Un environnement moins favorable en Afrique : érosion du soutien des anciens chefs d’Etat (Professeur Alpha Conde, etc.) arrivée de nouvelles générations aux affaires (bataille judiciaire avec le PAD, hostilité de certains chefs d’Etat comme le président Talon du Bénin ayant fait capoter le projet Bolloré de construction d’une ligne ferroviaire de 3 000 km, traversant plusieurs pays.

    – Le prix d’ achat généreux de 5,7 milliards d’ Euros offert par le  groupe Suisse MSC (plus de 2 ans de chiffre d’ affaires de Bolloré Africa Logistics) qui permettra au groupe Bolloré d’avoir du cash-flow pour investir dans ses activités plus lucratives (télé, luxe) et d’ accompagner son redéploiement en Europe et en Asie sans la contrainte de réaliser les investissements promis depuis des décennies dans ses activités portuaires en Afrique 

 

Conséquences de la vente des activités portuaires de Bolloré Afrique :

Il ne suffit pas de reprendre les activités de Bolloré pour résoudre les problèmes liés à la gestion des ports en Afrique. C’est tout l’écosystème qu’il convient de transformer en prenant en compte l’arrivée d’un nouvel opérateur Suisse qui rejoindra la SGS, une autre entreprise Suisse.

En premier, il est important d’élaborer un plan stratégique de modernisation de nos ports, le Port autonome de Douala en particulier dont le potentiel de développement reste important ; de soutenir les dirigeants qui font du bon travail; d’instaurer une culture du résultat et de renforcer les mécanismes de régulation, de contrôle et de supervision de la gestion des ports. Car il s’agit d’une activité hautement stratégique et financièrement viable pour l’Etat.

En second, il convient d’anticiper d’ores et déjà et préparer le départ de Bolloré de ses activités logistiques connexes (chemins de fer-CAMRAIL, Socapalm, etc) et comprendre que le groupe ne restera actif en Afrique que dans les activités de service à forte rentabilité et faible niveau d’investissements notamment dans la communication, le divertissement, les télécoms (fibre optique, Canal Plus, etc,.). 

La principale leçon du départ du groupe Bolloré d’Afrique est claire. Pour réduire la pauvreté et créer des richesses et des emplois pour nos jeunes, nous devons fabriquer des milliardaires Africains, des capitaines d’industrie comme le fait si bien un pays comme l’Ethiopie. 

C’est le meilleur moyen d’avoir une croissance plus inclusive, Car lorsque les entrepreneurs nationaux réalisent des bénéfices, il y a de fortes chances qu’ils réinvestissent dans d’autres secteurs de l’économie tandis que lorsque Bolloré réalise des profits, c’est pour consolider ses activités en Europe et en Asie. 

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