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Cameroun/Espionnage : des agents secrets déguisés en journalistes

AD – Libreville (Gabon) – Par rédaction :  Certains journalistes connectés aux policiers ont infiltré la profession pour espionner. Une pratique contraire au droit à la liberté d’expression et aux exigences de la Déclaration de Munich sur les devoirs et droits des journalistes.

Au Cameroun, le milieu de la presse est infiltré par des agents de renseignement. Des cartes de presse sont délivrées à des non journalistes, au détriment des journalistes professionnels». Ce constat établi par Gustave Flaubert Kengne, coordonnateur du Groupement des médias citoyens, fait partie des questions qui ont meublé les débats entre journalistes camerounais lors de la célébration le 03 mai dernier de la journée internationale de la liberté de la presse. Joseph Olinga, responsable régional de Le Messager, reconnait que « certains journalistes sont connectés aux policiers ». Le 12 juin 2020, un certain Serge Nséké se présentant comme reporter du journal Le Quotidien a été démasqué à Yaoundé. Avec en sa possession une fausse carte de presse.

Pour Gustave Flaubert Kengne, « Les personnes envoyées par ces médias pour des enquêtes ou des couvertures médiatiques sont, en réalité, des agents de renseignement déguisés en journalistes. Ils jouissent d’un train de vie princier et narguent les journalistes professionnels. Ils jouissent de nombreux privilèges en terme de publicité ou d’annonces pour les services occultes qu’ils rendent au mépris du droit pour le citoyen à avoir accès à la bonne information ». Il soutient: « Il y a des patrons des imprimeries qui se comportent aussi en espions et dénoncent les contenus hostiles au gouvernement aux services de renseignement ». « Un journaliste a créé un forum whatsapp dans lequel tous les participants étaient des commissaires de police. Quand tu donnes un avis sur le forum, ce sont des commissaires qui te suivent. Quand tu balances quelque chose, les services de renseignement sont au courant. Quand tu te désinscrits du forum, il fait tout pour te réinscrire», dénonce-t-il.

Liberté d’expression
A cause de ce dévoiement de la profession de journaliste, la Déclaration de Munich qui définit la qualité de journaliste et garantit la confidentialité du travail dans les rédactions est mise à rude épreuve par de nombreux membres du gouvernement et autorités administratives. En infestant le paysage médiatique de nombreux espions à la quête d’opinions contraires à celles du pouvoir en vue de les réprimer, l’Etat porte atteinte à la liberté d’expression reconnue par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ce traité ratifié par le Cameroun stipule en son article 19 que « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions », et que «Toute personne a droit à la liberté d’expression », ce droit comprenant « la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce… ».

De même, le décret concernant la fonction du journaliste n’est pas respecté par les autorités publiques. Ce texte définit le « journaliste » comme toute personne qui, sur la base de ses facultés intellectuelles, de sa formation ou de ses talents, a pour occupation principale et rétribuée, des tâches effectives de rédaction, de reportage, de collecte et de traitement de l’information pour le compte d’un ou de plusieurs supports médiatiques. Le décret prévoit la délivrance d’une « carte de presse » , pièce officielle qui identifie le journaliste et permet de le reconnaître à ce titre.

La délivrance des cartes de presse à des non journalistes a poussé le Syndicat national des journalistes du Cameroun (Snjc) à renoncer à cette pièce instituée par décret du Premier ministre en 2002, et délivrée par la Commission de délivrance des cartes de presse. Denis Nkwebo, le président du Snjc, estime que de nombreuses cartes ont été délivrées à des personnes qui servent des «intérêts occultes», à des faussaires déguisés en journalistes ou à des agents de renseignement.

Les failles de la loi
Dans la pratique, on connaît plusieurs personnes qui sont titulaires d’une carte de presse et n’ont rien en commun avec la profession de journaliste. Surtout que les conditions formelles de délivrance de la carte de presse peuvent être remplies par des non journalistes. « Dans la ville de Yaoundé, certains responsables de journaux qui portent le titre de Directeur de publication ou de rédacteur en chef ne maitrisent pas des techniques d’écriture journalistique. Ils se font établir des cartes de presse juste sur la base d’un contrat de travail et d’une affiliation à la Caisse nationale de prévoyance sociale(Cnps)», soutient une source proche de ce genre de pratique malsaine. Un directeur de publication basé à Paris l’Ouest reconnait s’être fait établir récemment plusieurs cartes de presse, en un temps record, dans l’optique de constituer un dossier afin de bénéficier de l’appui institutionnel à la presse privée.

Joint au téléphone, Rolland Messe, adjoint au secrétaire permanent de la commission nationale de délivrance de la carte de presse, fait savoir que cet organe travaille conformément à la loi. Il délivre des cartes de presse aux personnes affiliées à la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps) et dont les dossiers sont soumis par des directeurs de publication avec qui ils sont sous contrat de travail. L’affluence des dossiers, plus de 1000 parfois, l’insuffisance du personnel, et un maigre budget peuvent expliquer que de faux dossiers glissent entre les mailles lors de leur examen.

Des imprimeurs livrent les journalistes
Haman Mana, directeur de publication du journal Le Jour, a dénoncé lui aussi, sur les réseaux sociaux, la prolifération des faux titres constitués de faux journalistes. Le patron du journal Le Jour désigne ces titres sous le vocable de «journaux whatsapp», qui diffusent des informations à des cibles bien choisies.

Avocat au barreau du Cameroun, Me Julio Koagne pense qu’il faut questionner les textes en vigueur. Car « N’importe qui peut se lever un matin, il formule une déclaration, avec deux contrats fictifs de travail, on lui délivre un récépissé de déclaration, surtout s’il n’est pas hostile au pouvoir en place. C’est de là que parte tous les fausses pratiques qui permettent que le Cameroun soit l’un des rares pays au monde où n’importe qui peut s’autoproclamer journaliste au bout d’une semaine de procédure à la préfecture. Ce qui laisse ce corps vulnérables à l’infiltration de tous les désœuvrés et mêmes des agents de renseignement ou espions.»

Guy Modeste DZUDIE(JADE)

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