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Portrait testamentaire de Mama Dédé décédé à 81 ans le 29 décembre 2019

                           Mama Dédé dans la rédaction de Gabonews le 31 juillet 2006 © Achille Ngoma pour Gabonews.com

AD – Libreville (Gabon) – Le 31 juillet 2006, Mama Dédé a déjà chanté « Me maneya », l’un des titres qui a clos sa longue et riche carrière musicale. Elle débarque à la rédaction de Gabonews, à l’époque l’un des premiers médias en ligne au Gabon. Drapée dans ses traditionnels vêtements et sacs multicolores, elle se confie au journaliste Achille Ngoma à qui elle demande d’écrire un texte sur sa mode « Créachy » et surtout sa biographie personnelle.

« C’est pour la postérité », dira-t-elle avant d’offrir du jus à toute l’équipe de la rédaction : « buvez mes enfants, c’est maman qui offre ».

Voici le texte rédigé ce 31 juillet 2006 par Achille Ngoma qui s’est installé aux USA, un an plus tard.

L’artiste musicienne Gabonaise Mama Dédé a décidé depuis quelques mois de passer à la vitesse supérieure pour présenter sa première création, Créachy, « la création du chien ». Un style qui repose sur le port de chaussures de couleurs différentes assortit avec la jupe ou le pantalon à deux couleurs aussi. En fait, il ne s’agit pas de reconversion mais de retour à un amour pour celle qu’on appelle encore « la mère du Gabon » pour ses neufs enfants qu’elles qualifient des 9 provinces du pays. Itinéraire d’une styliste modéliste.

Mama Dédé, est le nom d’artiste qui a conquis le cœur du Gabon, pour prendre la place du nom de l’ex jeune fille Delphine Assong-Nzock. Un nom fang qui veut dire en français « la défense de l’éléphant ». Beaucoup plus connu comme artiste musicienne depuis des décennies, Mama Dédé veut prendre le taureau par les cornes en accélérant la vulgarisation de sa création : Le Créachy.

On dit bien Créachy. La mode consiste à porter une paire de chaussures dont les deux pieds divergent de couleurs ainsi qu’un pantalon dont la couleur de chaque pied se marie avec celle de la chaussure. Ou encore une jupe dont les deux moitiés se partagent les couleurs des chaussures.

‘‘Noir-blanc’’, ‘‘rouge-noir’’, ‘‘bleu-blanc’’, ‘‘noir-bleu’’ sont autant de Créachy qu’une femme peut avoir. « Et pourquoi pas un homme ? », s’interroge Mama Dédé.

Quand un chien inspire sa maîtresse

« J’aime les chiens, je les héberge depuis de longues années. Mais en 1990, après qu’une chienne avait mis bas j’étais entouré de nombreux chiens très ‘‘turbulents’’ qui rongeaient mes chaussures », explique la styliste.

« Un soir, je suis rentrée chez moi fatiguée. En allant me coucher j’ai oublié deux paires de chaussures à la véranda. Le matin au réveil le constat était désolant : les deux paires ont été rongées par les chiens. Mais en allant les jeter, j’ai constaté que le pied gauche et l’une des paires et le pied droit de l’autre étaient intacts », c’est à partir de là que l’idée a germé dans sa tête, explique la mère des 9 provinces.

Maman Dédé décidera à compter de ce jour, de porter sa paire de chaussure bicolore ‘‘noir-rouge’’. Mais, un bataillon de calomniateur se forme dans le village. « J’ai vécu une croisade de mépris, certaines femmes du village se répandaient en ragots, expliquant à qui voulait les entendre que j’avais perdu la tête », se souvient-elle.

« C’est mon chien qui m’a habillé ainsi, proclamai-je. Ils ont fini par comprendre que j’étais en train de mettre en place quelque chose de spirituel, de sérieux », poursuit-elle.

‘‘La mère des 9 provinces’’ a ainsi entamé un parcours du combattant qui s’est soldé par l’acceptation de sa mode, même si les femmes sont réticentes à la pratiquer. A la mettre en valeur.

« A Paris en France, j’ai été admirée par de nombreux occidentaux qui ont manifesté une grande déférence à mon égard », assure l’artiste qui précise même que de célèbres stylistes modélistes, ont posé avec elle, notamment Alphady.

« Quand je débarque à Roissy Charles De Gaulles, je suis une vraie curiosité, tout le monde veut voir de près si c’est la même paire que j’ai chaussée », affirme-t-elle.

Mama Dédé assure cependant que pour réunir ses Créachy, elle est obligée d’acheter deux paires de chaussures de couleurs différentes qu’elle croise ensuite. « C’est coûteux, mais j’ai du payer ce prix pour m’affirmer et imposer ma création ».

Elle indique tout même qu’il y a un raccourci incroyable qui évite l’achat double d’une paire de chaussure. La teinture. « Depuis quelques mois, j’ai augmenté ma collection en recourant aux cordonniers modernes qui teintent une des chaussures à la couleur de mon choix ».

« J’invite donc toutes les femmes Gabonaises, particulièrement celles qui ont une influence sur la population de s’habiller en Créachy pour imprimer le style dans la conscience féminine du pays, certainement que les hommes suivront aussi », sollicite cette couturière modéliste et créatrice qui a habillé des grandes dames du Gabon jusqu’en 1982 avant qu’elle n’intègre Nkolengong, un groupe d’animation du Parti démocratique gabonais (PDG) et qu’elle ne soit élue députée à l’Assemblée en 1985.

A l’époque mariée à l’Ecrivain Meyo Bibang, Delphine Meyo Bibang tenait un atelier de couture grâce auquel elle a contribué au côté de son époux, à élever leurs enfants et préparer leur bien-être.

L’artiste est donc revenu à ses amours premières. « Un métier que je n’avais pas choisi mais qui s’était imposé à moi comme toute vocation ».

« J’insiste à attirer l’attention des Gabonais à mettre en valeur cette création, car si les autres s’en saisissent au-delà de nos frontières et se pressent de la mettre en valeur, c’est eux qui bénéficieront de tous le crédit y relatif », averti-t-elle en disposant sur le plancher quelques spécimens.

Elle va et vient, et se présente en noir et blanc. Sa traditionnelle coiffure tissée en matériaux locaux à la main. En fait elle met en valeur sa longue chevelure très grisonnante. « Il arrive que je mette un chapeau blanc et ces grosses lunettes noires, quand je suis en Créachy noir-blanc ».

Ma Dédé qui est désormais à la recherche de sponsor pour organiser une soirée Créachy est plus connue dans le pays comme artiste musicienne. Elle a commencé sa carrière en 1984, occupant la présidence du groupe socioculturel Nkolengong un des groupes de danses des femmes de l’ancien parti unique.

Elle initia en 1985 le port de chaussures pour toutes les danseuses qui, de 1968 à 1985 prestaient pieds nus, « alors qu’elles étaient toujours très coiffées, maquillées et habillée ».

Militante, danseuse puis député du PDG

Grâce à son activisme assidu dans les activités du PDG, « La vieille » fut élue députée au 2e arrondissement de la capitale pour un mandat de 5 ans entre 1985 et 1990. Une des rares femmes députées à l’époque.

Quand le vent du changement a soufflé en 1990, une conférence nationale souveraine se tient au Gabon. Elle consacre la démocratisation du pays. Assong-Nzock abandonne la politique. Elle ‘‘aiguise’’ plutôt sa langue et reprend son micro.

C’est à ce moment qu’elle chante ‘‘Changement négatif’’, un titre engagé qui dénonçait le recours par les hommes, « les grands hommes surtout », à une deuxième femme appelée ‘‘bureau’’. « Moi-même j’ai été un peu victime de ce ‘‘changement négatif’’ », confesse-t-elle toute souriante.

« Le vent de la démocratie qui avait soufflé à l’Est a entraîné le changement jusque dans nos foyers au Gabon. Tout le monde voulait alors changer et cela m’avait beaucoup inspiré », raconte-t-elle.

Mais avant ‘‘Changement négatif’’, ‘‘ La Vieille ’’ avait déjà chanté sur le SIDA : ‘‘Attention au SIDA’’, Un tube qui a été piraté à son insu par un autre artiste du pays, dont elle préfère taire le nom par respect. Mama Dédé a entre autre chanté ‘‘Tsuga’’, ‘‘Me maneya’’, ‘‘Sorcière naturelle’’, etc.

Chrétienne catholique, Mama Dédé est très sociable, explique ses voisins du village de Nkoltang (33 Km de Libreville) où elle vit dans sa belle petite maison en écorce d’arbres. « Elle a des qualités morale et spirituelle que nous apprécions beaucoup », témoigne un voisin.

Très naturelle, comme son défunt père qui mourut à 112 ans avec une denture complète et qui fut hospitalisé une seule fois à 111 ans, la ‘‘mère des 9 provinces’’ a un régime alimentaire corsé. Elle mange seulement les fruits de mer, les ignames, le plantain et le poisson fumé.

Mort vivant

C’est ainsi que certains Librevillois l’appellent parfois. Un épisode douloureux qu’elle explique avec une reconnaissance exceptionnelle à Dieu et aux médecins qui sont restés à son chevet pendant plusieurs jours de coma profond.

En février 2004 alors que le Conseil national de la communication (CNC) venait de censurer un de ses clips, Mama Dédé a été victime d’un accident de la circulation : 7 côtes cassées, la main droite et la clavicule gauche déboîtées, le pancréas coupé…

« C’est devenu une source d’inspiration pour moi. Ça me permet de composer davantage, car j’ai à ce jour 48 chansons non enregistrées, indépendamment de l’album de 12 titres qui sera sur le marché en 2007 », explique-t-elle.

Maman Dédé est alors devenue, plus que jamais, un grand symbole de la musique Gabonaise comme les Akendéngué et autres. En s’investissant dans le stylisme, elle veut assurément laisser à la postérité un héritage multidimensionnel. Pourvu que le Créachy s’impose !

Achille Ngoma le 31 juillet 2006 pour Gabonews.com

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