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L’universitaire Daniel Franck Idiata s’invite dans le débat sur le franc CFA

AD – Libreville (Gabon) – L’universitaire gabonais, Daniel Franck Idiata très critique s’invite sur le débat sur la fin du franc CFA déjà acté dans les huit pays de l’Afrique de l’Ouest, alors que dans les six pays de l’Afrique centrale, la question n’est même pas d’actualité.

Voici, l’intégralité du texte du professeur Idiata publié sur sa page facebook

Un coup de tonnerre dans l’histoire postcoloniale de la France en Afrique en cette fin d’année 2019, et c’est historique ! Les huit pays d’Afrique de l’Ouest membres de la zone UEMOA (Union Monétaire Ouest-Africaine) ont décidé de couper le lien ombilical, ou plutôt les chaînes de la dépendance qui les liaient à la France via le Franc CFA. C’est à l’image de ce qu’est le BREXIT, c’est-à-dire le « British Exit », pour désigner la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Par analogie, j’utilise le terme UMOAXIT, c’est-à-dire « UEMOA Exit » pour désigner la sortie des pays de l’UMOA du Franc CFA.

LES FLEURS DU MAL

On se rappellera que le Franc CFA, officiellement franc de la Communauté financière africaine, est le nom de deux monnaies communes héritées de la colonisation française et utilisées par 14 pays d’Afrique constituant en partie la zone Franc en Afrique francophone : le Franc CFA (UEMOA) et Franc CFA (CEMAC). Le Franc de la communauté financière en Afrique de l’Ouest (XOF), émis par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, pour les huit États membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (à savoir : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo) et le Franc de la coopération financière en Afrique centrale (XAF), émis par la Banque des États de l’Afrique centrale, pour les six États membres de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (à savoir : le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad).

Outre ces deux banques précitées, depuis 1945, la Banque de France est le troisième acteur de ce système monétaire. Le Franc CFA est arrimé à l’EURO selon une parité fixe garantie par la France. En contrepartie, les pays de la zone franc ont l’obligation de déposer 50 % de leurs réserves de change au Trésor français sur un compte rémunéré. Tous les ans, la Banque de France reverse les intérêts obligataires de leurs réserves aux pays africains. C’est aussi en France que sont imprimés les billets de Francs CFA. Le système garantit aux pays africains concernés, la possibilité de convertir le Franc dans n’importe quelle autre devise ainsi que la stabilité de la monnaie. Comme le Franc CFA est indexé sur l’EURO, de brusques dévaluations ne sont pas possibles. De plus, le système permet des transferts de capitaux libres et gratuits à l’intérieur de la zone monétaire.

LEGITIME INDIGNATION FACE AU FCFA ?

Ces dernières années, de nouvelles voix se sont élevées, avec plus de véhémence, en Afrique comme Europe contre le FCFA, qualifié d’outil « de domination postcoloniale » de la France sur les pays africains. Je limiterai mon propos, pour illustrer cette confrontation, au seul cas de mon ami et ancien collègue étudiant de Lyon (lyonnais un jour, lyonnais pour toujours), le brillantissime économiste togolais Kako NUBUKPO, aujourd’hui Doyen de la faculté d’économie de l’Université de Lomé, après être passé par plusieurs fonctions aux plans national et international, dont Ministre du Gouvernement dans son pays, avant d’être promu Directeur de la Francophonie économique et numérique au sein de l’OIF, qui se bat depuis des années pour l’indépendance monétaire des pays de la zone Franc. Je me rappelle nos vifs débats sur la question à Lyon et de ses positions tranchées. Il n’a pas perdu un poil de sa pertinence malgré le temps. Pour lui donc, « la monnaie revêt une dimension économique, politique, sociale, sociétale et religieuse. Elle est, à cet égard, au cœur de la vie démocratique, et son fonctionnement doit faire l’objet d’un contrôle citoyen ». Il poursuit en affirmant très fortement que l’enjeu, ici, est de réinvestir la question de la souveraineté. Est-il normal qu’à l’heure actuelle les États de la zone franc déposent la moitié de leurs réserves de change dans un compte d’opération logé auprès du Trésor français, alors que ces États ont accordé aux deux principales banques centrales de la zone, la BCEAO et la BEAC [Banque des États de l’Afrique centrale], leur indépendance de jure et de facto ? De même, affirme-t-il, « on peut légitimement se poser la question de l’intérêt, pour ces banques centrales, de faire fabriquer leurs billets exclusivement en France, au bénéfice de l’industrie monétique hexagonale et en se privant de la maîtrise du processus de fabrication de leur propre monnaie ».

L’ECO : UN SAUT RISQUÉ DANS L’INCONNU ?

La date du Samedi 21 décembre 2019 marquera à jamais l’histoire des huit pays de la zone UEMOA. En effet, au second jour de sa visite en Côte d’Ivoire, Emmanuel Macron, le Président français, et Alassane OUATTARA, le président ivoirien, ont annoncé, ensemble, « une vaste réforme » du FCFA, la monnaie commune aux huit pays de l’Union monétaire l’Afrique de l’ouest. Monsieur OUTTARA n’est allé sur le dos de la cuiller en annonçant la fin du FCFA dans les pays de l’UEMOA, qui ont donc décidé de créer leur propre monnaie : l’ECO, du nom d’un projet de monnaie unique des quinze pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) datant des années 1960. Sur les terres ouest-africaines du XOF, l’ECO enterre donc le FCFA, et c’est une décision historique.

PARI RISQUÉ ?

Ce changement de monnaie, s’il marque un pas important vers l’indépendance financière des pays de l’UEMOA, n’est pas sans risque. On se souviendra des expériences douloureuses de nombreux pays dans le monde, et les cas du Mali et de la Guinée, plus près de nous, en sont de parfaites illustrations. OUTTARA et ses collègues doivent obligatoirement apprendre des erreurs de ces deux pays, s’ils veulent réussir leur pari. Un pari très risqué, à mon sens, dans le contexte africain d’aujourd’hui. On se rappellera que le Mali a eu une douloureuse expérience monétaire qui a duré 22 ans (1962-1984). A sa sortie de la zone CFA en 1962, il avait mené une politique monétaire expansionniste ayant abouti à la dévaluation en 1967 du franc malien, suivie d’un coup d’Etat une année plus tard. La Guinée Conakry, plus grande et plus riche en ressources naturelles que le Sénégal (resté dans le FCFA), a depuis 1960 sa propre monnaie. Elle pèse 7 milliards, là où le Sénégal pèse 16 milliards de dollars. Nombre d’intellectuels et d’acteurs politiques se demandent encore aujourd’hui quel est l’effet du franc guinéen sur son développement. L’autre risque concerne la viabilité de cette monnaie pour un espace qui ne pèse que l’équivalent de 22 % du PIB nigérian, surtout que la Côte d’Ivoire, qui pèse à elle seule, 35,2 % de l’économie de la zone UEMOA, n’a jamais partagé la gouvernance de la Banque centrale et que la politique monétaire de la zone répond plus au besoin de la Côte d’Ivoire que du reste des pays membres de l’UEMOA, d’après plusieurs économistes réputés. L’autre risque est le saut vers l’inconnue. Avec le FCFA, la zone UEMOA est décrite comme l’une des zones monétaires les plus stables au monde. Depuis 2011, en effet et comme le montre un excellent article publié sur le site de FranceInfo Afrique, les pays de la zone UEMOA sont rentrés dans une dynamique de croissance soutenue encore plus intéressante. Pourquoi donc quitter une zone stable, qui permet d’avoir une croissance économique soutenue avoisinant les 7 %, au moment où l’Afrique affiche son taux de croissance le plus faible depuis 25 ans (à peine 1,6 %) ?

Il faut, évidemment, espérer que les Chefs d’Etats des pays de l’UMOA ont bien étudié leur affaire et qu’ils ont donc mis tous les moyens de leur côté pour ne pas échouer. Je vais, ici, rappeler les étapes de mise en place de l’EURO, et c’est un très bon exemple, pour montrer qu’on ne se lance pas dans un tel exercice en s’aidant de la seule volonté d’indépendance, réelle ou supposée :

– 1970 Le rapport Pierre Werner préconise un transfert du pouvoir économique à la CEE et la mise en place d’une monnaie commune.

– 1979 Création du Système monétaire européen (SME) : création d’une nouvelle unité de compte (l’ECU) dont la valeur est calculée sur un ensemble pondéré de toutes les monnaies des États membres.

– 1986 L’Acte unique programme pour 1993 un marché intérieur unifié.

– 1989 Le Conseil européen de Madrid adopte le rapport Delors sur une union économique et monétaire en trois phases.

– 1990-1993 Première phase : fin du contrôle des changes dans l’Union, augmentation des moyens destinés à corriger les déséquilibres entre les régions européennes et convergence des économies européennes.

– 1990 Le Comité des gouverneurs est chargé de consulter les politiques monétaires des États membres et de promouvoir la coordination en vue de réaliser la stabilité des prix.

– 1992 Signature du traité de Maastricht auquel sont annexés entre autres le protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne et le protocole sur les statuts de l’Institut monétaire européen.

– 1994-1998 Deuxième phase : mise en place de l’Institut monétaire européen (IME), indépendance des banques centrales nationales, réduction des déficits budgétaires nationaux.

– 1994 L ‘IME se voit confier deux missions principales : renforcer la coopération entre les banques centrales et la coordination des politiques monétaires des États membres, et assurer la préparation nécessaire à l’instauration du Système européen de banques centrales (SEBC), à la conduite de la politique monétaire unique et à la création d’une monnaie unique, lors de la troisième phase.

– 1995 Le Conseil européen décide que le nom de l’unité monétaire européenne devant être introduite au début de la troisième phase sera « euro », et confirme que la troisième phase de l’UEM débutera le 1er janvier 1999. Un calendrier du passage à l’euro est annoncé.

– 1997 Adoption du rapport de l’IME sur les principes et les caractéristiques du nouveau mécanisme de change (MCE II), relatif aux futures relations monétaires et de change entre la zone euro et les autres pays de l’Union européenne.

Adoption du Pacte de stabilité et de croissance constitué de deux règlements visant à assurer la discipline budgétaire dans le contexte de l’UEM.

– 1998 Les cours-pivots bilatéraux des monnaies des États membres participants en vigueur au sein du MCE serviront à déterminer les taux de conversion irrévocables de l’euro.

Onze États membres remplissent les conditions nécessaires pour la participation à la troisième phase de l’UEM et l’adoption de la monnaie unique à compter du 1er janvier 1999: la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Autriche, le Portugal et la Finlande.

Les nominations des membres du directoire de la Banque centrale européenne marquent sa mise en place. La BCE et les banques centrales nationales des États membres participants constituent l’eurosystème, qui formule et définit la politique monétaire unique.

– 1999-2002 Troisième phase : naissance de l’euro.

– 1999 Fixation irrévocable des taux de conversion des monnaies des onze États membres participant dès le début à l’union monétaire et mise en œuvre d’une politique monétaire unique sous la responsabilité de la BCE. L’euro est pour la première fois coté.

– 2001 Entrée de la Grèce dans la zone euro, suivie par la Slovénie en 2007, Chypre et Malte un an plus tard, la Slovaquie en 2009 et l’Estonie en 2011.

– 2002 Les billets et les pièces libellés en euros sont mis en circulation et remplacent rapidement les billets et pièces nationaux.

Malgré le fort enthousiasme de l’Afro-optimiste, que je suis, par opposition aux nombreux afro-pessimistes d’Afrique et du monde, je voudrais bien m’assurer que OUATTARA et ses compères ont bien étudié leur dossier et que toutes les conditions sont réunies pour « marquer l’essai ». Il faut donc espérer, vivement espérer, que cet acte de courage et d’indépendance de NOS HÉROS de l’UEMOA ne soit pas un acte de folie ou une autre duperie de la France vis à vis de son pré-carré. Si, à l’ouvrage, l’ECO n’est en définitive qu’un nouvel habillage du FCFA, la jeunesse africaine ne l’acceptera pas. Wait and see, comme on dit.

QUID DE LA ZONE CEMAC ?

En zone CEMAC, où les économies sont beaucoup plus moribondes et dépendantes du seul pétrole, les Chefs d’Etats sont apparus plus frileux, donc moins ambitieux que leurs homologues de l’UEMOA, du moins pour l’instant. Les dirigeants de la CEMAC, réunis en sommet extraordinaire à Yaoundé, le vendredi 22 novembre dernier, ont en effet annoncé leur volonté de faire évoluer le Franc CFA, plutôt que de créer une nouvelle monnaie, comme c’est le cas pour les pays de l’UEMOA. Ils ont donc, pour ce faire, décidé d’engager une réflexion approfondie sur les conditions et le cadre d’une nouvelle coopération avec la France. Ils ont, à cet effet, chargé la BEAC de proposer, dans des délais raisonnables, un schéma approprié conduisant à l’évolution de la monnaie commune, le Franc CFA. Tous les experts, africains ou non, intéressés par cette question (une littérature abondante existe) sont unanimes pour dire qu’il est difficile pour les pays de la CEMAC, en l’absence d’un véritable tissu industriel capable de répondre au mouvement de change, de gérer une monnaie. La perspective d’une monnaie commune, hors CFA, pour les six pays de l’espace CEMAC n’est envisageable que s’il y a un mécanisme qui gère les soldes extérieurs, ce qui est, à ce jour, très loin d’être le cas.

Pour ma part, et c’est une conviction profonde, en dépit des critiques que l’on peut adresser au projet de l’UEMOA, il s’agit d’une avancée symbolique très importante dans le long processus de réappropriation de nos pays. Pour la jeunesse africaine, de plus en plus lassée par l’assujettissement des pays africains à la France, cette réforme ouvre de nouvelles perspectives.

  1. Je fonde ce propos sur nombre de publications en lignes issues de références autorisées.

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